Pourquoi les moteurs de jeu deviennent Open-source ?

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Le monde du jeu vidéo, qu’on annonçait mort depuis des années sur PC, est en plein renouveau. Les nouvelles consoles de jeu que les Microsoft et Sony ont repoussé le plus possible donnent un bol d’air aux développeurs désireux de proposer de nouvelles expériences, quelque soit la taille du jeu. L’un des éléments de ces jeux : leur moteur. Les annonces successives d’Epic, d’Unity, et de Valve autour de l’ouverture des sources et de la gratuité de développement de leur moteur maison (Respectivement Unreal Engine 4, Unity 5, et Source 2), sont symptomatiques d’une profonde transformation du paysage du secteur. Et les raisons ne sont pas compliquées à déterminer.

L’évolution des habitudes des consommateurs

Bien que la situation des connexions Internet existantes n’est pas prête de s’améliorer, il est indéniable que de plus en plus de gens disposent de connexions confortables, à même de permettre de profiter des jeux en téléchargement. Que ce soit sur les consoles ou sur PC, avec Steam, Origin (à vomir, mais obligatoire chez EA), Uplay (pareil) et compagnie, les options pour se payer des jeux dématérialisés, en plus avec souvent des promotions, sont devenues suffisamment populaires pour que les éditeurs s’y soient engouffrés.

Une évolution des mœurs encouragées aussi par les plateformes mobiles, Android et iOS en tête, sur lesquelles les seules sources de jeu sont à installer par les stores. Retrouver un tel fonctionnement sur PC les mets à l’aise, et pousse plus facilement à l’achat. D’autant que de nos jours, les promos sont fréquentes, et donc il est courant de trouver un jeu moins cher qu’en version physique. Et tant pis si l’on ne peut ni prêter ni revendre un tel jeu (sans parler du morcellement économique, à grands coups de DLC payants).

Les « indés » en profitent

Les développeurs indépendants en profitent directement. En effet, la distribution d’un jeu en version physique coûte cher, et profiter de la dématérialisation leur permet de vendre leurs jeux à un prix raisonnable, mais surtout avec une bien meilleure visibilité, notamment sur PC grâce à Steam (Microsoft avait d’ailleurs annoncé vouloir repenser son programme ID@XBOX pour mieux mettre en avant ces productions indépendantes sur Xbox One, après le Fiasco sur 360, Sony a fortement poussé les possibilités de publication sur PS4).

Une situation gagnant-gagnant : le développeur gagne en visibilité et en part de marché, et la plateforme peut ajouter un titre de plus à son catalogue, permettant d’attirer toujours plus de joueurs/clients. Et dans l’absolu, le nombre d’équipes restreintes aux idées rafraîchissantes grimpe en flèche.

Des gros éditeurs toujours plus « verrouillés »

On le voit avec Activision, EA, Ubisoft… Les grosses licences disposent toutes de leur propre moteur de jeu. Battlefield utilise Frostbyte (qui sera utilisé dans d’autres jeux DICE, dont Mirror’s Edge 2–le premier opus utilisait l’Unreal Engine 3, huhu), Activision a son propre moteur sur Call of Duty, Ubisoft utilise Anvil pour Assassin’s Creed et Dunia pour Far Cry… Ces grosses productions aux budgets à neuf chiffres utilisaient auparavant un moteur acheté auprès d’un éditeur, avant de se tourner vers une solution maison qui leur permettrait plus d’indépendance.

Sans parler que les grosses productions deviennent plus rares, en ce sens que si l’on se tape un CoD, un AC, un BF par an, les gros titres pouvant justifier l’achat coûteux d’un moteur de jeu (et de son support) sont moins courants parce que le risque financier plus grand, et le retour sur investissement (peut-on réutiliser le travail sur le moteur ailleurs ?) incertain.

Un business model à repenser

Les éditeurs de moteurs (Epic, unity, Valve) doivent donc revoir leur copie. Il est devenu difficile de vendre une licence « unique » à plusieurs centaines de milliers de dollars, support compris, sachant que les développeurs indépendants disposent souvent d’un budget bien moindre (souvent à peine 10% du prix de la licence pour TOUT gérer : code, graphismes, sons, développeurs). Donc même plus nombreux, les petits studios ne peuvent pas ouvrir leurs poches comme ça.

Unity avait été le premier à tirer, avec des tarifs abordables pour les petits projets (et surtout une promesse de cross-compilation avec les mobiles, dont le marché, surtout chez Apple, peut être très rentable). Avec un support moindre certes, mais le fait de disposer d’un moteur tout prêt est aussi une économie quand on ne dispose pas de l’équipe pour concevoir tout ça de bout en bout.

Et là, patatras : Epic annonce que l’Unreal Engine 4 sera open-source, avec une licence mensuelle de 20€/mois pour les projets commerciaux. Une modification radicale du billet d’entrée pour le moteur, dont la licence valait auparavant au moins une centaine de milliers de dollars. Avec une conséquence importante : les modifications qu’apportent les développeurs sont répercutées et répercutables pour tous les projets, et le nombre de plateformes supportées par le moteur est encore plus important que les précédentes versions. Plusieurs semaines après, Epic annonce un nouveau changement : l’utilisation est désormais gratuite pour tous, et des royalties seront à verser en fonction des revenus des jeux commerciaux vendus. Unity, puis Valve ont fait des annonces dans la même veine, du moins dans la partie financière de l’exploitation du moteur.

L’idée est donc là : puisqu’il n’est plus possible de trouver suffisamment de gros clients prêts à payer des licences de malade à des tarifs hallucinants, on propose le même produit moins cher, mais du coup à plus de clients potentiels. La quantité sur la qualité, sachant que l’aspect Open-source dans le cadre de l’Unreal Engine a déjà apporté ses fruits, puisqu’Nvidia a ouvert la version logicielle du moteur PhysX, qui est utilisé dans l’Unreal Engine, gérant des effets de physique dans les jeux.

Cela permet aux développeurs de pouvoir plus facilement démarrer les projets même avec une équipe restreinte, et Epic ne gagnera de l’argent que si le jeu se vend bien. Un pari un peu fou, mais Epic Games gagne du coup un sacré réseau de développeurs qu’il n’aurait jamais pu toucher auparavant.

Un renouveau artistique dans la foulée

Les développeurs indépendants opérant avec des ressources restreintes, les idées originales fusent : graphismes hors du temps, gameplays novateurs, tout est bon pour se différencier et se faire voir parmi les mastodontes qui font de la pub à la TV. Une bouffée d’air frais quand les gros éditeurs limitent les risques et ne se bornent le plus souvent qu’à sortir des suites de suites.

Ubisoft l’a bien compris, en mettant une initiative en place : une de leurs équipes fonctionnent en mode « indé », c’est à dire avec une liberté artistique et technique totale, tout en ayant le soutien technique et commercial de la firme. Résultat : Soldats Inconnus, Child of Light, autant de titres pas nécessairement parfaits, mais à la direction artistique qu’on ne saurait retrouver de nos jours dans de grosses productions, obligatoirement fades pour plaire à un maximum de joueurs.

Un marché en mutation, pour le plus grand bonheur des joueurs ?

Personnellement, je pense que cette transformation du marché est une bonne chose. En tant que joueur, j’ai été salement déçu par nombre de grosses productions, certaines que j’avais accepté d’acheter dès la sortie, ou pire, qu’on m’avait offert (déçu que la personne qui me l’a offert ai fait confiance à la marque). Voir au final plus de jeux, certes moins fournis, avec un prix plus raisonnable, et parfois bien plus intéressant au regard du temps passé devant… Aussi, les grosses productions ont trop fortement tendance à privilégier une expérience multijoueur, ce qui ne me ravit pas forcément (les testeurs avaient d’ailleurs regretté que Titan Fall ne propose pas d’aventure solo, quand l’univers s’y prêtait). Cette lame de fond de jeux indépendants permet donc de renouveler un panel de jeux « solo », ce qui ne peut que me redonner un peu de joie.

Et pourtant je n’espère pas non plus que les grosses productions disparaissent, car elles sont les seules à même de proposer une aventure et une richesse de contenu qui ne peut s’obtenir qu’avec des budgets hors de portée des développeurs indépendants. Quand on voit la durée de développement sur le contenu d’un Assassin’s Creed (au moins trois ans), c’est impossible à faire avec une équipe restreinte, souvent d’à peine trois/quatre personnes chez les développeurs indépendants.

Mais au moins, il n’est plus nécessaire de s’en tenir au bon vouloir de trois/quatre gros éditeurs qui auraient autrement verrouillé le marché de la création et surtout de la distribution, à l’image de ce qu’on a vu dans la téléphonie mobile en France avant l’arrivée de Free Mobile. Et puis plus de jeux, plus de types de jeux pour plus de joueurs, avec plus d’univers différents, comment ne pas être en accord avec cette transformation ?